Mon créateur, lorsqu'il eut fini de m'assembler, entendit à la radio que l'on venait de découvrir un nouvelle planète sur Pulsar :
LVL-9.
Mon fabricant est un robot géant. Il voulait une compagnie de moindre taille. Il m'a donc faite haute d'un mètre vingt-six de résine. Il y a mis du temps, de l'attention et non pas du cœur mais beaucoup d'intérêt à la tâche. Au départ, il comptait m'appeler Doll-X-1.0. Je ne parlais pas encore mais tournais la tête pour désapprouver ce choix. Il me fit plusieurs propositions, toujours le même mouvement de tête de ma part encore et encore. Du temps passait et je n'avais toujours accepté aucun nom. Mon créateur en brûlait ses circuits à force de chercher.
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Tu es incomplète. Tu es erronée. Si tu n'acceptes aucune appellation, débrouilles toi. Tu n'es pas ma seule création. #
ll me laissait là, sur la table, sans vêtements.
"
Qué ? "
Mon premier mot. Ma première interrogation. Je ne savais pas encore faire de phrases mais je ne comprenais pas la lassitude de mon fabricant. Je ne marchais pas encore, j'étais debout sur une plaque en métal. Un petit pantin en bois m'observait depuis le sol où il était allongé. Il lui manquait une main. Probablement cassée. Il me faisait peur. Il me fixait sans dire un mot.
J'ai couru dès que j'ai pu trouver l'usage de mes membres articulés.
J'ai couru vite et loin.
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Je ne sais combien de temps s'est écoulé depuis.
J'ai longtemps erré sans nom.
Les rues de Cogstrom m'ont parues fades, si mornes, sans rien à y trouver.
Mais ça, c'était jusqu'à ce que je vois ma première étoile crasseuse.
Une étoile filante, dit-on. Mais à cet instant, c'était une étoile perdue. Comme moi.
D'un pan du kimono que je m'étais cousu, l'aide d'un tissu trouvé dans un coffre à jouets - bon ok pas trouvé, volé - , je m'étais donné la mission de nettoyer ce qui se devait de briller. On devrait tous briller à Pulsar. Et pour moi, l'étoile était une pauvre âme délaissée. Comme j'étais naïve.
Une fois pleine de lumière, elle m'a amenée. Loin. Très loin.
J'ai bien cru que je ne remettrai plus les pieds sur le sol.
Au début, j'étais enchantée. J'ai même songé qu'elle m'emmènerait dans un lieu plus riche, plus beau ou plus accueillant. Erreur. Les sombres rues de Sparklux furent mon nouveau lieu d'habitation, une fois l'étoile écrasée dans une crasse plus noire que celle dans laquelle je l'avais trouvée.
Là-bas, on m'a arraché les yeux tellement de fois que je n'arrive plus à les garder en place. Ils tombent dès que je m'agite un peu trop.
On a aussi tenté de m'enlever les bras et les jambes, ça a été moins simple. On me les as ensuite remplacés. Les cheveux, on me les as coupés, teints, rasés. J'ai donc du en chercher de nouveaux. Rien n'allait. Seuls la tête et le tronc sont restés intacts.
J'aimerais avoir de nouveau les yeux bleus.
Je ne savais même pas qui j'étais.
Je ne suis même pas sûre de le savoir encore.
Je sais que je suis arrivée sur Cogstrom avec des yeux bleus et des cheveux longs. Étaient-ils blonds ? Je pense oui, blonds clairs et dorés.
Étincelants. Plus brillants que l'étoile qui se déposa dans le cimetière de Sparklux, cette nuit-là quand j'errais nue, le crâne sans un cheveu, les yeux enfoncés dans mes orbites de résine. J'avais une jambe en métal rouillé mais les trois membres restants on me les avait replacés. Tant bien que mal je m'y accrochais, espérant, me disant que de toute façon il n'y aurait jamais pire que Sparklux.
Arrivée à Desitis j'entendis une chose bien étrange.
"
Des humains, les amis ! Des humains, des créatures venues d'une autre galaxie ! "
Là, je compris que j'avais été beaucoup trop longtemps enterrée à Sparklux. Des humains, qu'est-ce que c'est que ces bêtes là ?
Et puis, ils sont arrivés. Ils ont questionnés, se sont émerveillés - là je me suis demandé à quoi ressemblait leur planète pour qu'ils n'aient jamais vu rien de similaire avant - et à mon tour, je me suis surprise à les observer les admirer, à les envier. Leurs émotions, leurs ressentis par rapport à tout même la plus banale des choses, leur grandeur moins impressionnante qu'un golem de fer mais déjà plus que moi, petite poupée de résine. J'ai même choisi mon nom en empruntant celui d'une femelle de leur espèce, Selvaggia. Au fond de moi, j'avais envie d'être comme eux, me sentir appartenir à quelque chose, à quelqu'un, avoir des besoins, des envies, des sentiments...
Finalement, j'étais tout aussi humaine qu'eux.