[Archive 00] J’entame le reste du protocole de vérification. Tout va pour le mieux, le petit se porte à merveille. A cet instant, il explore la petite pièce et essaye de comprendre le fonctionnement de ses mains, non sans laisser tomber un instrument. Le bruit le fait à nouveau réagir. Le voilà qui fait tomber à répétition l’objet métallique, fasciné, presque amusé. «
Ton nom est 1823212. » dis-je en inscrivant les dernières lignes de mon rapport, réprimant un gloussement. «
Un-million-huit-cent-vint-trois-mille-deux-cent-douze… » Je lève les yeux vers lui, puis les laissent retomber sur ma feuille où je coche la case ‘OK’ à côté de ‘système de mémorisation’. Voilà, le dernier paramètre a été vérifié. Il ne reste plus que la paperasse à remplir et il sera bon a être envoyé vers sa nouvelle maison.
Quelque chose enserre soudainement mon thorax. Je sursaute, puis regarde le responsable de cette petite frayeur. Sa tête est cachée contre ma poitrine, ses bras me serre étroitement contre lui. Je l’entends murmurer. «
Un-million-huit-cent-vint-trois-mille-deux-cent-douze… » Encore et encore.
Je pose ma paume sur sa tête. Ma main tremble. Je tremble. Je- Je ne peux réellement m’expliquer pourquoi je-
Son regard rencontre à nouveau le mien, interloqué. J’essuie mes joues du revers de la main. Les larmes continuent à rouler sur mon visage, et pourtant un mince sourire s’étend sur mes lèvres. L’androïde continue de me fixer, puis revient poser sa tête contre moi et commence à se balancer, lentement, m’entraînant dans son mouvement.
Je lui demande de se tourner et, lorsque ses bras se détache enfin de mon corps, je n’ai qu’une envie : les retenir. Ne pas le laisser partir, ne pas ouvrir son dos, ne pas appuyer sur ce foutu bouton et ne surtout pas entrer le mot de passe.
[Réinitialisation des programmes en cour …]Son corps tombe dans un bruit sourd. L’étincelle s’est éteinte. Une boule enserre ma gorge.
Je ne veux pas qu’il m’oublie.
[Réinitialisation des programmes terminée][Archive 01][Initialisation en cour …
Veuillez patienter
Système nerveux : 100%
Système moteur : 100%
Système sensoriel : 100%
Activation du système de mémoire active.
Initialisation terminée.]Il y a tant de bruit nouveau. Nouveau ? La sensation étrange qu’est ouïr ne lui semble pas tout à fait inconnue. Sa réflexion est rapidement interrompue par quelque chose de tout à fait nouveau. L’un des individus, de sexe féminin et de jeune âge, apparemment, vient d’enfoncer quelque chose dans sa poitrine. L’androïde baisse la tête, mais pas intentionnellement. Elle tombe, molle, tout simplement. Son corps refuse de bouger. De là, il peut voir ce qui a provoqué cette réaction étrange : un petit rectangle de papier coloré. Avant même d’essayer de comprendre quoi que ce soit d’autre, un son s’échappe de son propre corps. Un son particulier. Pas comme un choc, bref, ou une parole. Non, il y a plusieurs bruits, en même temps ! Très différent, mais harmonieux. Ça lui donne envie de bouger, de rire, encore et encore. C’est effrayant et agréable à la fois, si--
Le morceau de papier vient d’être retiré et l’androïde manque de tomber en retrouvant sa mobilité. La mélodie s'évanouit rapidement et laisse à nouveau place au silence. Triste, triste silence. Alors, pour le briser, il ouvre ses mâchoires métalliques et demande «
Quel est mon nom ? ».
Tout le monde s’immobilise. Il attend impatiemment la réponse, la quiétude ayant repris trop rapidement sa place. Les organiques semblent réfléchir. Trop long, trop long ! Trop silencieux. «
Quel est mon nom ? » Sa voix se fait insistante, impatiente. Il trépigne, produisant de petits claquements en frappant le sol de ses pieds métalliques. Les organiques regardent désespérément autour d’eux. «
Lyric ! » s’exclame enfin l’un d’eux. L’autre surenchérit, visiblement peu inspiré par son nom, ou par le simple fait qu’une machine en demande un.
Et pendant que les organiques se crêpent le chignon avec ces histoires futiles, le récemment nommé Lyric répète son nom. Ce nom qui sonne si étranger, comme si… Ce n’était pas vraiment le sien.
[Archive 06]La nuit est silencieuse, ennuyeuse. Alors, des fois, il va chercher le morceau de papier et passe un peu de musique. C’est la plus petite, le même individu de sexe féminin qui l’avait essayé la première fois, qui le pose à porter de main, parce qu’un matin les propriétaires l’avaient retrouvé débranché, et donc presque déchargé. Le jukebox lui avait confié son ennui, alors elle l’avait aidé, parce que ça lui faisait plaisir, et parce que Lyrics était trop
gentil à ses yeux pour s’ennuyer toute la nuit.
[Archive 11] Les organiques qui viennent ingérer des aliments peuvent aussi utiliser les papiers de couleur contre la devise de cette galaxie. Ils insèrent le billet est peuvent profiter de la musique le temps d’une chanson ou deux, selon le prix. Puis le ticket est jeté, et c’est le tour d’une autre personne. Les propriétaires disent que ça marche bien malgré le bruit constant sur
Dorémi.Mais les gens ont commencé à tricher. A garder les petits bouts de papier au lieu de les jeter dans la corbeille. Une faute bête, ça, de ne pas rendre les tickets inutilisables après emploi. Une faute si bête, qui lui coutera si cher. Lui qui ne pouvait rien faire à cette condition, lui qui n’était pas fautif. Mais qui n’essayait pas d’arrêter les tricheurs, parce que ça lui permettait d’écouter la musique. Sa musique. Ses beaux morceaux.
Aujourd’hui, les propriétaires se sont rendu compte de la supercherie et ne sont pas satisfait de son travail. Surtout l’homme sceptique qui ne cesse de dire que c’était de ‘l’argent jeté par les fenêtres’. L’androïde ne comprend pas, car personne n’a jeté de recette par les fenêtres. Et lorsqu’il le fait remarquer, l’homme s’énerve et l’oblige à se tourner. Il veut se débattre, mais il a peur de faire du mal à l’un de ses propriétaires. Il a peur. Peur.
[Souhaitez-vous réinitialiser les programmes ?] La petite fille crie, on la retient. Elle tape des pieds et du liquide se met à couler sur ses joues. Une vision familière. Familière. Il veut la prendre dans ses bras. Sa main arrive presque à la toucher lorsque--
[Réinitialisation des programmes en cour…] Sa tête touche le sol. Un des néons colorés de son corps s’éclate. Les cris se font plus strident. Lyric ne sait pas si ces bruits lui sont agréables. Il est confus, confus, confus, confus--
[Réinitialisation des programmes terminées]"
[Archive 0̨͖̠̤͎̈́̇ͩ0͏̟̯͓̟̯1̱0͚̝͍̰̾̂̌̀ͥ̚1͉̰̖͕̦͖̗ͬ̚][Initialisation en cour …
Veuillez patienter
Système nerveux : 100%
Système moteur : 0%
Système sensoriel : 30%
Activation du système de mémoire active ; recherche de données enregistrées.
Récupération de donnée possible. Voulez-vous récupérer ces données ?
ERREUR. Données corrompues.
Voulez-vous continuer ?
Initialisation terminée.]
Obscur. Cet endroit est obscur. Il n’y a rien à voir, rien sur lequel poser ses yeux. Ses yeux ? Ses yeux ne sont plus là ? Il cherche à bouger. Ses membres n’obéissent plus. Des bruits étranges parsèment la pièce. Métallique. Du métal crisse. Quelqu’un bouge à ses côtés, se rapproche de sa tête.
Il voit. Ses globes oculaires bougent rapidement, essayent d’analyser ce qui se passe et échoue. Impossible d’avoir une vision périphérique de la pièce, car sa tête refuse toujours de se tourner. Des corps sont entassés dans ce qu’il peut voir la pièce. Des corps inorganiques. Comme lui. Lui ? Qui est-il ? Quelle est sa fonction ?
L’attente est encore longue. L’étranger continue de bouger autour de lui. Il ne comprend pas, aimerait fermer ses yeux, se mettre en veille. Il a peur. Si peur.
[Arĉ͇͍̫̘͗͌h͚̗̘̪̘̅̆ì͉̜͙̬̦̤v̵̦̂e̶͚͖̩̜ ̘͙̱͔̙ͨͥ̃ͦ1̩̲͐ͨ́̅ͤ0̔ͥ͛̒̔̋̐0̜̜̼͎̾ͤ1̶̟̱̠̯̭̦1̠̪͔̹̬̫̣̈́͜|[Remise en marche des systèmes.
Système nerveux : 100%
Système moteur : 100%
Système sensoriel : 100%]L’androïde n’ose pas se lever avant qu’on lui en donne l’ordre. Le sol semble si loin de lui et ses jambes… Différentes ? Comme si ce n’était pas les siennes. Pareil pour ses mains, pour son torse. Il aperçoit son reflet dans la cuirasse de l’un des corps, cherche une apparence familière et n’en trouve aucune. Ses nouvelles mains viennent toucher ces reliefs étranges. Nouveau ? Qui est-il ? Etait-il quelqu’un d’autre auparavant ? Est-ce que cet étranger est
son créateur ? L’androïde s’en approche, écarte ses bras, mais on le somme de s’arrêter. On le lui ordonne. Il ne comprend pas, mais abdique. Est-il blessé ?
Non, il n’est pas blessé. Il ne ressent rien. Il n’a pas peur. «
J̖͈̿̒̔́ͅͅ'̙͕̩ͤã̧͔̥̤̼i̩̟̯͔̗̿͗ ̮̖͖̭͍̇͌̍̈́ͥ͗̕ͅp͉͙ͦ͂ͥͯ͞e̷̟̼͚̦̞ǔ̧̙͙͊͋ͯr͕̠̮̳̓̃̿̋̽͗» Non. On le lui répète. Tu n’as pas peur. Tu ne ressens rien. Rien.
Mais lui, il a peur. Peur de ce qu’on lui montre à cet instant. Peur, parce qu’il est attaché à ce siège. Peur de cette salle où on l’a emmené si vite. Peur de son créateur. Peur. Peur. Peur.
Un flash opaque voile sa vision un instant. Ses circuits disjonctent. Une odeur de brûler flotte dans la pièce. Il ne comprend pas ce qui se passe. Ça recommence. On continue de lui répéter ces choses. On continue, encore et encore. Les images défilent sur l’écran. Elles sont effrayantes. Des gens crient, courent dans tous les sens. Certains ne bougent plus, et les autres continuent à hurler. Et l’androïde ne sait toujours pas si ces hurlements lui sont agréables ou non. Le flash reprend. Il pense qu’il s’agit d’électricité. C’est désagréable. Non, non. Il ne doit rien ressentir. Pour que ça s’arrête. Pour que tout s’arrête. Annihiler les sentiments. Ne faire que ce qui est commandé. Ressentir n’a pas été commandé. Il faut obéir. Il faut qu’il obéisse, car c’est une machine. Oui. On le félicite parce qu’il a compris. On le félicite. Il fait bien.
Puis tout devient clair. Clair comme ces flash étourdissant. Clair comme les silhouettes qui déroulent devant lui. Oui. Il se souvient. Il s’en souvient. Il sait pourquoi il ne doit pas avoir peur. Il sait pourquoi ces cris lui sont familiers. Il revoit cet endroit, il revoit le chaos et la désolation. Ses yeux tombent sur ses mains ; elles sont couvertes de plasma sombre. Ce n’est pas dans la vidéo, mais il s’en souvient.
Il s’en souvient car ce sont ses souvenirs.
[A͓̞̻̍͌̇̆̄͠r̗̂c̡͚̤̘͖͙̘̊ͨ̏̿͐h̎ͩ̉̐̆͏̞͔̣̹͍̦̺i̒ͥ̍ͪ̈́ṿ̮̹̟̜̈́͒̐̐́ȇ̫̲͎̙̠̱́ 0ͮ̽̑̿̔̔͏̝̭1̠̳͓̫̋͛̇̔͊̄0͎͔͙̩͠0̙͔̾̈ͨͦ]«
Juggernaut. » Le son arrive à lui arracher une sensation. Sensation qu’il voudrait réprimer, car elle n’avait lieu d’être. «
Fait honneur à ton nom. » Il hoche la tête, comme les autres, et laisse sa place à un autre monstre. Le nom lui tourne en tête, car on ne lui a pas ordonné de le prononcer.
[Ȧ̴͓̙̞̗̫̝̰̆r̩ͧ͑̌ͩ̐̏̔c̙̹͖̺̼͒̔ͮ ̤̪͖̠ͥͤ́̑ḧͣ̃̚̚͜ ͚͙̩̥̈́̏̂͆ͩi͈̠̣̊ͅv͖̑ ̷͌̐ ̰͖̖͖̩̪̉̌ͤ͆͜ẻ̵́ͮͧ̍ ͍̖͎̐ēͣͪ̊͋ͥ҉ ̟̲̭̹̘ͮ̅ͅė̖ͮ̓̀ͅ ̞̞͛͛ͩ̔ ERREUR]Les organiques ont annoncé que l’un des androïdes avaient complètement disjoncté. Péter les plombs. Littéralement ? Juggernaut ne sait pas. Ce qu’il sait, c’était qu’il ne fait pas le poids face à la chose qui doit être neutralisée. Plus grande, plus forte, plus massive. A côté, son corps semble presque frêle. Mais il n’a pas peur de l’autre. Même lorsque les doigts articulés s’enroulent autour de sa gorge et serrent, serrent si fort que sa cuirasse crisse et se plie. Les autres continuent de tirer sur la bête et les projectiles perdus ricochent sur sa propre armure, laissent des marques, des impactes. L’énorme pince métallique le lâche enfin, le projetant contre le mur. Sa vision se brouille. Les bruits deviennent indistincts. Les cris. Tout.
Puis le silence. Au bout de combien de temps ? Juggernaut ne se souvient pas du temps. Plus rien ne bouge, ni l’androïde défectueux, ni les organiques. Il n’arrive plus à se mouvoir.
[Connectez l’appareil à une source d’énergie] . Les secondes recommencent à avoir du sens. La petite jauge se vide progressivement, chaque minute enlève un précieux pourcent. Le doute s’installe. Qu’est ce qui arrive lorsqu’une machine se décharge ?
[12% d’énergie restante] Où va-t-il plonger ? Va-t-il revenir un jour ?
[8% d’énergie restante] Jusque-là, on l’a toujours rebranché avant le moment fatidique. Jusque-là ? Depuis combien de temps, jusque-là ? Cette panique ne lui ait pas inconnue. Il l’a déjà vécue, mais dans l’obscurité.
[6% d’énergie restante] Pour aller chercher quelque chose. Quelque chose.
[3% d’énergie restante] Le morceau de papier. Il a perdu le morceau de papier. La panique monte d’un cran. Il veut chercher le morceau de papier, mais son bras arrive à peine à tressauter.
[Connectez l’appareil à une source d’énergie]Son corps est inerte. Il ne reste qu’un mince filet d’énergie. Il ne bouge plus. Plus. Comme les organiques dans ses souvenirs.
Ses souvenirs ? Est-ce à cela que ressemble
la mort dont les organiques parlent tant ?
[Archive 224̴̯̖̍ͫ] «
Clyde. » Pas de réponse. Ses yeux sont perdus dans le vague. Est-ce que les yeux d’un artificiel peuvent réellement se perdre dans le vide ? «
Hey. Clyde. » Des doigts claquent devant le visage de l’intéressé. Il se sort enfin de cette transe, se retourne vers le responsable.
La responsable ? Son protocole de reconnaissance faciale a pris un sacré coup depuis la dernière fois. La dernière fois ? Se réveiller d’une décharge complète ressemble à une gueule de bois organique. Du moins, c’est ce que son détenteur
–sa détentrice ?- lui a dit, après qu’il ait expliqué son ressenti. Après qu’on l’ait rebranché. Après cette soudaine alimentation ait électrifié sa nuque, remit en marche ses programmes endommagés. Fragmentés. Troués. Rouillés. L’esprit à l’image du corps.
[Archive 235] «
Clyde. » Une personne est à genoux, retenue contre le sol par le pied de l’androïde. De faibles couinements s’échappent de la forme recroquevillée. Un rapide balayage de l’endroit découvre d’autres gens dans la même position, la plupart attaché, d’autres les mains derrières la nuque. «
Clyde, on met les voiles. » Lorsqu’il enlève son pied, l’organique se laisse tomber sur le côté, secoué par les sanglots. Mais Clyde ne reste pas assez longtemps pour le remarquer ; il balance un sac sur son épaule et quitte la scène en vitesse. Comme toujours. Fuir. Fuir avec le butin. Avec la devise de cette galaxie. Toujours plus.
[Archive 306] «
Clyde. » Des sirènes retentissent non loin. Une fumée opaque s’élève jusqu’au plafond.
Il/elle tousse, mais s’enfonce tout de même dans le voile ombreux pour le rejoindre. Sa main se pose sur son épaule. Sa main de chaire et de sang.
Il/elle est obligé(e) de tendre son bras pour l’atteindre. Son visage est camouflé, comme à chaque
casse. Pour éviter les ennuis, effacer les traces. «
Laisses-toi faire, Clyde. » Ce dernier ne comprend pas tout à fait. «
Tu restes ici et tu fais ce que les flics te demande. Tu dois nous faire gagner du temps, sinon on va tous y rester. »
Il/elle s’approche encore un peu plus de lui. Son visage masqué se trouve à quelque centimètre du sien. Jamais il…
Elle n’a été aussi proche ? Son programme de reconnaissance faciale semble enfin pouvoir déterminer son sexe, détailler son apparence pourtant cachée. Tous ces détails s’enregistrent dans sa base de données. Pouvoir enfin mettre un visage précis sur ces ordres le rend…
Heureux ? Non. Oui. Il ne sait toujours pas. «
Oublie tout. » L’ordre tue son allégresse, lui enfonce un coup de poignard.
Sa détentrice pourrait presque déceler l’incompréhension sur ce visage effrayant. «
Oublie moi. Oublie Clyde. » Elle s’en va en courant, fuit pour disparaitre dans la brume sombre.
Pour sauver sa peau. Il tente de distinguer sa silhouette nouvellement enregistrée. Mais il doit exécuter son ordre. Il doit oublier.
Oublier.
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[Recharge terminée, veuillez déconnecter l’appareil]
Il émerge soudainement, légèrement confus. Bien vite, les visions oniriques disparaissent, s’effritent dans son esprit. L’artificiel tente d’en rattraper quelques bribes, mais elles glissent entre ses doigts. Bien vite, les scènes si réelles, si vivantes, ont complètement disparu dans les méandres de ses programmes.
Juggernaut n’a plus de passé. On lui a ordonné de ne plus en avoir. Mais il a trop de temps libre. Trop de silence. Le silence le pousse à fouiller dans ces enregistrements, a les ressortir, les extraire. Il cherche. Cherche à recoller ces petits morceaux de données ; ces mêmes données qui ont survécus à tous ces formatages, partiellement corrompues. Mais chaque pièce rend le mystère plus profond.
Trop profond pour lui.
La porte de sa cellule s’ouvre brusquement. Il sursaute, ne sait pas encore que ce qu’on lui annoncera changera sa vie. Une vie qu’il s’était résolu à vivre à l’ombre, dans cet endroit austère. A ne voir plus que ces couloirs obscur. A ne plus revoir la lumière.
La lumière. Elle l’aveugle en quittant cet endroit, escorté, pas tout à fait libre. Libre. La liberté. Ça sent la liberté.
Mais soudainement, la liberté l’effraie. La liberté. La liberté comme dans libre-arbitre. Comme dans prendre des décisions. La liberté le rendra responsable. Responsable de ses actions. Responsable de tout ce chaos. Les images se bousculent dans sa tête, tout se mélange, puis éclate. Il veut retourner dans le pénitencier. Il veut retourner dans sa cellule glaciale.
Mais on ne lui laisse pas le choix.
On ne lui a jamais laissé le choix.